Une équipe américaine a réussi à suivre la fin d’une étoile massive juste avant son explosion en supernova. Une grande première, qui défie les modèles préexistants et qui laisse entendre qu’une étoile arrivée en fin de vie annoncerait son explosion imminente.
Pour la première fois, une étoile a pu être étudiée dans les derniers instants précédant sa mort. L’astre, qui se trouve dans une autre galaxie, a été régulièrement photographié par des télescopes situés à Hawaï dans l’année qui a précédé son explosion en supernova, observée le 6 septembre 2020. Ces clichés seraient passés inaperçus si des chercheurs de la Northwestern University n’avaient fouillé dans les archives à la recherche d’un signal noyé dans la masse : les émissions de l’étoile avant son effondrement cataclysmique.
Les ultimes frémissements d’une étoile massive
Tels des enquêteurs visionnant des caméras de surveillance, ils ont retrouvé les émissions lumineuses survenues dans les 130 jours avant la fin de l’étoile, ce qui était inédit. Surtout, pour ce type de supernova — l’explosion d’une étoile massive —, on pensait qu’aucun changement à la surface de l’astre n’annonçait son explosion imminente. Enfin, jusqu’à présent, les images prises en direct remontaient au mieux à quelques heures après l’explosion.
Cette étoile est une supergéante rouge de 10 à 12 masses solaires. Elle a explosé le 6 septembre 2020 en supernova de type II, un phénomène qui entre dans la catégorie la plus répandue dans l’Univers. Les télescopes en détectent d’ailleurs un très grand nombre. « Ces découvertes sont automatiques, car elles sont issues de sondages systématiques du ciel. Il est impossible de faire un suivi spectroscopique pour toutes, notamment par manque de main-d’œuvre. Il y a donc un aspect aléatoire, car les observateurs sélectionnent certains objets pour obtenir un spectre et c’est alors qu’une décision est prise pour suivre un objet donné dans le détail », explique Luc Dessart (Institut d’astrophysique de Paris), qui cosigne la publication.
En épluchant les observations enregistrées dès le 18 janvier 2020, une anomalie a retenu l’attention : l’étoile a connu des sursauts lumineux dans les mois précédant son explosion. Or, compte tenu de sa masse relativement faible (pour une étoile massive…), aucune émission n’aurait dû être détectée selon les modèles en vigueur. « Jusqu’à présent, on pensait que c’était le propre d’étoiles plus massives », indique Luc Dessart.
De plus, « les explosions observées à partir de SN2020tlf (ladite supernova) sont plus énergétiques et perdent beaucoup plus de masse que prévu pour ce type d’étoile. De futurs modèles de mécanismes tels que la combustion explosive de silicium dans ces étoiles pourrait expliquer cet évènement très énergétique », précise Samantha Wu, de l’Institut de technologie de Californie.
Une large surveillance du ciel
Cette première observation remet donc déjà en question la théorie. Et les archives des observatoires Pan-STARRS et Keck, installés sur l’ile de Maui et d’Hawaï, pourraient bien contenir d’autres indices sur les circonstances de la mort des étoiles. Parfaits pour une telle opération, ces deux duos de télescopes ont chacun leurs atouts. Pan-STARRS (deux réflecteurs de 1,8 m de diamètre) photographie une très large partie du ciel chaque nuit, ce qui est idéal pour détecter des supernovas très jeunes même dans des galaxies distantes. Les Keck, quant à eux, savent repérer des émissions très faibles grâce à leur miroir de 10 m, ce qui a permis d’établir une spectroscopie de la supernova pour en déterminer les composants chimiques.
« Grâce aux télescopes Keck, nous avons pu suivre sur SN2020tlf l’émission de gaz chauds tels que l’hydrogène, l’hélium, l’oxygène, le calcium et le fer. Nous avons aussi enregistré le gaz percuté par l’onde de choc de la supernova. Ce même gaz que l’étoile avait éjecté au cours de ses 130 derniers jours, provoquant le rayonnement lumineux détecté avec le télescope Pan-STARRS », relate Wynn Jacobson-Galan (université Berkeley), premier auteur de l’étude américaine.
Pour vérifier la fiabilité de sa découverte, l’équipe a analysé attentivement les données. « Nous n’avons tiré aucune conclusion tant que la supernova n’était pas dissipée. Nous devions être certains d’avoir identifié la supergéante rouge émettant un rayonnement lumineux avant l’explosion. Ensuite, nous avons pu rassembler les éléments de l’histoire qui reliaient les observations avant et après l’explosion », ajoute le chercheur.
Une observation qui complète les modèles
L’un des intérêts d’une telle observation est de faire progresser les modèles théoriques. Actuellement, on sait déjà comment se déclenche une supernova dans une étoile massive. Dans son noyau, les éléments chimiques fusionnent jusqu’à former du fer. Arrivé à ce stade, l’astre ne peut plus fusionner d’éléments et produire ainsi assez d’énergie pour contrecarrer la gravitation. Emporté par sa masse, il s’effondre sur lui-même. Les couches externes de l’étoile tombent sur le noyau et en retour, une onde de choc déchire l’astre jusqu’à sa surface. L’étoile est déchiquetée, et sa matière éjectée dans l’espace. Un puissant flash lumineux signale l’explosion de la supernova.
« L’explosion elle-même dure une seconde. Mais du fait du rayon des supergéantes rouges, le choc met environ un jour pour atteindre la surface de l’étoile et émerger. La supernova qui en résulte est alors très lumineuse pendant trois à quatre mois », détaille Luc Dessart.
La présence d’émissions non prévues pour une étoile d’une telle masse est déjà un premier axe d’amélioration des modèles. Elle montre que certaines supergéantes rouges ne restent pas calmes avant d’exploser. « La détection du rayonnement lumineux de la supergéante rouge avant la supernova indique que l’étoile subissait des changements internes importants qui ont conduit à l’éjection de matière dans les 100 derniers jours avant l’explosion. Ce processus a provoqué le rayonnement observé par Pan-STARRS. La détection de cette émission avant l’explosion d’une supergéante rouge aidera à mieux comprendre ce qui se passe dans ces étoiles en fin de vie, et pourquoi elles explosent en supernova », affirme Wynn Jacobson-Galan.
Une étude prolongée pour plus de résultats
L’équipe américaine a poursuivi ses analyses sur les quelques mois qui ont suivi la supernova. Ce travail a permis de dégager d’autres éléments, à même de faire évoluer les modèles. « Nous avons continué l’observation pendant des centaines de jours après l’explosion. La supernova continuera à se développer et la lumière finira par s’estomper en dessous de ce qui peut être détecté par nos télescopes sur Terre. Nous avons pris des images de la supernova presque chaque nuit après qu’elle se fut produite », se remémore Wynn Jacobson-Galan. Les propriétés spectrales relevées un an après l’explosion sont des indicateurs de la masse de l’étoile, cruciaux pour comprendre pourquoi sa grande activité en fin de vie n’était pas prédite par les modèles.
Plusieurs questions restent ouvertes. Comme le note Thierry Foglizzo, astrophysicien au CEA : « Ces éléments sont très intéressants, même s’ils ne contraignent pas directement le mécanisme complexe qui opère en moins d’une seconde la transition entre l’effondrement du cœur et l’explosion en supernova. Pour comprendre celui-ci, il est important de connaitre le mieux possible ses conditions initiales juste avant l’effondrement du cœur et on peut dire que cette étude y contribue. »
Wynn Jacobson-Galan précise : « Nous ne savons pas encore si toutes les supergéantes rouges émettent ce rayonnement lumineux avant d’exploser. Cette découverte nous a obligés à essayer de comprendre grâce à des simulations théoriques comment peut être émis le rayonnement lumineux vu avant la supernova. » Son équipe prévoit maintenant d’examiner les données du télescope Pan-STARRS pour voir si d’autres supernovas ont été précédées par de tels évènements. A l’avenir, à l’observatoire Vera Rubin et son LSST ils pourront découvrir bon nombre de ces évènements présupernova que l’on pourra étudier en temps réel avant qu’une étoile n’explose.