Fin 2019, Bételgeuse a commencé à perdre de son éclat. De manière spectaculaire. Plusieurs hypothèses ont alors été émises pour expliquer le phénomène. Aujourd’hui, c’est un surprenant satellite météorologique qui vient finalement confirmer l’hypothèse privilégiée par les astronomes.
Rappelez-vous, l’histoire s’est jouée entre fin 2019 et début 2020. Bételgeuse, la deuxième étoile la plus brillante de la constellation d’Orion, s’est soudainement mise à perdre de son éclat. Jusqu’à deux tiers de sa luminosité. Certains ont alors cru que nous étions sur le point d’observer son explosion en supernova. Mais des observations ont rapidement réorienté les astronomes vers d’autres hypothèses. Celle d’un refroidissement de la surface de l’étoile ou celle de l’éjection d’une bande de poussière dans notre ligne de visée.
Et, à la grande surprise de tous, ce sont aujourd’hui finalement les données renvoyées par un satellite météorologique japonais qui pourraient mettre définitivement fin au mystère. Entre janvier 2017 et juin 2021, Bételgeuse s’est en effet glissée sur de nombreux clichés pris par Himawari 8. De quoi mesurer sa luminosité sur la période tous les 1,7 jours. Notamment dans le domaine de l’infrarouge moyen. Une longueur d’onde qui permet de révéler les poussières. La conclusion des chercheurs, c’est que l’assombrissement de la supergéante rouge a été causé, en proportions presque égales, à la fois par une baisse de sa température d’environ 140 °C et par la formation de poussières à partir de gaz chaud condensé autour de l’étoile.
Un nouvel instrument pour scruter les étoiles
Une conclusion qui va dans le sens de celles tirées par les astronomes travaillant sur des données recueillies depuis le sol. Et qui montre surtout comment un satellite météorologique peut aussi servir la recherche astronomique. Grâce à des images à haute cadence dans un domaine qu’il est difficile d’atteindre avec les instruments classiques de l’astronomie.
L’observation dans l’infrarouge moyen apparaît en effet comme la solution la plus directe d’accéder aux émissions de poussières qui sont notamment le fait des étoiles dites supergéantes rouges. Des étoiles comme Bételgeuse. Une nouvelle manière d’obtenir une image à plusieurs longueurs d’onde de ces étoiles massives tout au long de leur évolution.
La géante rouge Bételgeuse livre ses secrets
L’affaire durait depuis 2019, pendant quelques mois, la géante rouge Bételgeuse, presque un milliard de fois plus volumineuse que le Soleil, avait vu sa luminosité baisser d’environ 35 %. S’agissait-il d’un signe avant-coureur de son explosion en supernova ? Il ne semble pas car une explication plus prosaïque est aujourd’hui confirmée par des observations d’astronomes ayant utilisé des instruments du VLT de l’ESO.
L’Humanité connaît de longue date l’étoile Bételgeuse car c’est l’une des étoiles les plus brillantes de la constellation d’Orion. Mais c’est seulement au XXe siècle que l’on a pu connaître sa taille et elle fut même la première étoile dont le diamètre a été déterminé. En 1921, en effet, les astronomes Michelson et Pease utilisèrent la technique de la synthèse d’ouverture, imaginée par Hippolyte Fizeau, pour déterminer le diamètre apparent des étoiles par des méthodes interférométriques. Il devient alors clair que l’on était en présence d’une supergéante rouge presque mille fois plus large par son rayon que le Soleil et, étant donné sa température de surface, environ cent mille fois plus lumineuse.
Les progrès fulgurants, après la Seconde Guerre mondiale, dans la théorie de la structure et de l’évolution stellaire, grâce au développement de l’astrophysique nucléaire, ont fait que Bételgeuse intéresse beaucoup les astrophysiciens car elle est susceptible de nous donner des clés pour comprendre plus précisément comment de telles étoiles, très massives (Bételgeuse contient environ 15-20 masses solaires), terminent leur vie au bout de seulement quelques millions d’années.
En effet, on sait depuis des dizaines d’années qu’il existe une relation entre la masse d’une étoile, sa luminosité et son temps de vie. Plus une étoile est massive, plus la température en son centre est élevée. Il en résulte que certaines réactions de fusion thermonucléaire sont possibles, dégageant les énormes quantités d’énergie nécessaires pour produire une pression de rayonnement capable de s’opposer à celle qui résulte de la propre gravité de l’étoile, en l’occurrence celles du cycle CNO.
Ce faisant, elle consomme son carburant thermonucléaire à un rythme si rapide que son temps de vie se compte en quelques millions d’années plutôt qu’en milliards d’années, comme c’est le cas pour le Soleil. Comme on estime que la géante rouge est née il y a environ 8 millions d’années, on a de bonnes raisons de penser que, dans quelques milliers ou centaines de milliers d’années très probablement, Bételgeuse explosera en supernova. Comme elle n’est située qu’à 600 années-lumière environ (les incertitudes restent grandes quant à sa distance exacte), l’explosion produira sur Terre un spectacle impressionnant, visible en plein jour.
Un caprice d’une étoile variable ou un nuage de poussières ?
Bételgeuse est donc très étudiée et, lorsque des observations fin 2019 et début 2020 ont commencé à montrer que l’astre devenait beaucoup moins lumineux, la nouvelle a été très médiatisée tandis que les astrophysiciens étaient devenus songeurs. Fallait-il craindre l’imminence de l’explosion de la géante rouge ? Comment de toute façon expliquer cette baisse de luminosité ?
Futura avait consacré de nombreux articles à cette question dont ceux que l’on peut lire sous celui-ci. L’astrophysicienne Sylvie Vauclair nous y rappelait notamment que la supergéante rouge est une étoile variable et que, pour cette raison, nous n’étions peut-être, et même probablement, que face à un de ses multiples cycles de variations et pas du tout en face des prémices de son explosion.
Sylvie Vauclair avançait une autre explication, moins probable, selon elle : « Bételgeuse, qui émet en permanence de forts vents stellaires, aurait émis une bouffée de gaz et de poussières particulièrement importante, qui la cacherait partiellement avant de s’évaporer complètement ».
Cette hypothèse était aussi envisagée par l’astronome Miguel Montargès, de l’Observatoire de Paris, en France, et de la KU Leuven, en Belgique. Avec son équipe, il avait eu recours aux instruments du VLT implanté au sommet du Cerro Paranal, au Chili, pour étudier Bételgeuse. Dans un communiqué de l’ESO, il expliquait travailler « actuellement sur deux scenarii : l’un repose sur un refroidissement de la surface généré par une activité stellaire exceptionnelle, l’autre sur l’éjection de poussière le long de la ligne de visée. Bien sûr, notre connaissance des supergéantes rouges demeure aujourd’hui encore incomplète. Des études sont en cours, une surprise est donc toujours susceptible de se présenter.
La production de grains présolaires en direct
Miguel Montargès et l’astrophysicienne Emily Cannon, de la KU Leuven, reviennent aujourd’hui sur l’énigme de la baisse de luminosité de Bételgeuse dans un autre communiqué de l’Eso où ils font savoir qu’eux et leurs collègues pensent vraisemblablement avoir résolu l’énigme. La solution complète est exposée dans un article publié dans la célèbre revue Nature, et sans faire durer plus longtemps le suspens, il s’agirait bien de la formation rapide d’un nuage de poussières, à partir d’une bulle de gaz chaud, refroidie et condensée, produite par l’extraordinaire état convectif de Bételgeuse et qui a été éjectée par l’astre peu avant sa baisse de luminosité apparente.
Ce résultat est le produit d’observations faites en continuant à surveiller l’étoile depuis 2019 avec le VLT en mobilisant l’instrument Sphere (Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch) pour obtenir une image directe de la surface de Bételgeuse, ainsi que les données de l’instrument Gravity du Very Large Telescope Interferometer (VLTI) afin de surveiller Bételgeuse tout au long de la diminution de sa luminosité ; ces observations se sont poursuivies aussi après avril 2020, période où l’étoile avait retrouvé sa luminosité normale. L’interprétation de ces observations va dans le même sens que celle tirée des données collectées par Hubble.
Toujours est-il que « nous avons assisté en direct à la formation de ce que l’on appelle la poussière d’étoile », explique donc Miguel Montargès. Ce n’est pas anodin car, comme le mentionne aussi dans le communiqué de l’Eso, Emily Cannon : « La poussière expulsée des étoiles froides en fin de vie, comme celle dont nous venons d’être témoins, pourrait constituer les briques élémentaires des planètes telluriques et de la vie ».
Il existe une théorie de la formation de grains de poussières par condensation d’éjectas de matière par des étoiles en fin de vie et les observations de Bételgeuse apportent la preuve que la formation de poussière peut se produire très rapidement et à proximité de la surface d’une étoile comme l’indique le communiqué de l’Eso. Mieux ! on retrouve ces grains présolaires à l’intérieur des météorites du Système solaire, ce qui nous a permis de préciser leurs compositions. On y trouve des matériaux réfractaires comme le carbure de silicium, des minéraux silicatés de la famille de l’olivine et du pyroxène et même des diamants !
En conclusion de cette découverte, Miguel Montargès et Emily Cannon avouent qu’ils sont impatients de pouvoir utiliser l’Extremely Large Telescope (ELT) en construction de l’Eso. « Grâce à sa capacité à atteindre des résolutions spatiales inégalées, l’ELT nous permettra d’imager directement Bételgeuse avec des détails remarquables. Il élargira également de manière significative l’échantillon de supergéantes rouges dont nous pouvons étudier la surface par imagerie directe, ce qui nous aidera à percer les mystères qui se cachent derrière les vents de ces étoiles massives », explique Emily Cannon.