Les astrophysiciens se préparent à réaliser très bientôt des observations à caractère scientifique avec le télescope James-Webb. Parmi les investigations prévues pour la première année figurent deux exoplanètes, des superterres chaudes dont la mystérieuse 55 Cancri e que l’on pense au moins partiellement recouverte de lave.
Les spectrographes de haute précision du JWST devraient permettre, à partir d’études de cas de ce genre, de comprendre la diversité géologique des exoplanètes à travers la Voie lactée et l’évolution des planètes rocheuses, comme la Terre, en faisant de la planétologie comparée.
Les derniers tests et réglages des instruments du télescope spatial James-Webb (JWST) vont se terminer dans quelques semaines et il pourra alors commencer son premier cycle d’observations dans le cadre de ce qui a été nommé en anglais le Cycle 1 General Observers (GO) program. Il devrait durer environ un an et au total ce sont quelque 6.000 heures d’observations découpées principalement en périodes de moins de 25 heures qui permettront aux équipes sélectionnées pour une proposition d’observation bien spécifique dans le domaine de l’infrarouge de réaliser leur programme de recherche.
Par la magie du WWW anticipée par Arthur Clarke, la noosphère de Teilhard de Chardin donne à tous un accès à la nature des programmes du cycle GO qui portera sur des sujets aussi divers que par exemple les exoplanètes, les disques protoplanétaires, les corps célestes du Système solaire, le milieu interstellaire, les grandes structures de l’Univers ou encore les noyaux actifs de galaxies avec leurs trous noirs supermassifs.
On peut ainsi découvrir que l’équipe menée par Laura Kreidberg de l’Institut Max-Planck d’astronomie recherchera des signatures du volcanisme et de la géodynamique sur l’exoplanète rocheuse LHS 3844, que l’équipe menée par Renyu Hu du fameux Jet Propulsion Laboratory se penchera sur la détermination de la composition atmosphérique de la superterre 55 Cancri e alors que celle menée par Alexis Brandeker, de l’université de Stockholm cherchera à répondre à cette étonnante question : « Est-ce qu’il pleut de la lave le soir sur 55 Cancri e ? ».
La Nasa a fait un communiqué spécifique sur ces deux exoplanètes en interrogeant notamment Laura Kreidberg et Alexis Brandeker.
Le cas de 55 Cancri e est particulièrement intéressant, notamment parce qu’il est énigmatique. Comme le rappelait dans le précédent article de Futura ci-dessous le regretté Jean-Luc Goudet, 55 Cancri est une étoile double située à seulement à 41 années-lumière de la Terre dans la Voie lactée. Or il contient aussi un système planétaire, de sorte que sa proximité en fait une cible de choix pour l’étude des exoplanètes, en l’occurrence celles autour de 55 Cancri A qui est une naine jaune (55 Cancri B est une naine rouge). Cinq ont été repérées autour de 55 Cancri A dont trois géantes gazeuses comparables à Jupiter.
55 Cancri e (e parce que c’est la quatrième dans l’ordre des découvertes, a désignant l’étoile) est par contre une exoplanète rocheuse, mais depuis une décennie environ la détermination de sa nature a subi de nombreuses évolutions. Il est certain que vu sa proximité à son étoile hôte sa température moyenne de surface est de plus de 2.000 °C puisque sa période orbitale n’est que de 0,74 jour.
Certains chercheurs ont avancé, en se basant sur la composition de 55 Cancri A, indicatrice de celle de la nébuleuse où s’est formée l’étoile et son cortège planétaire, ainsi que sur des modèles numériques de l’intérieur 55 Cancri e nourris de la détermination de sa densité et masse, que l’exoplanète était composée principalement de carbone de fer, de carbure de silicium, et, éventuellement, de silicates. Sa surface et une partie de son intérieur contiendraient donc une grande quantité de graphite et de diamants.
D’autres étaient arrivés à la conclusion que 55 Cancri e était recouverte par un océan d’eau dans un état supercritique à plus de 1.700 °C. On pense plutôt maintenant qu’elle a une atmosphère recouvrant une surface volcanique avec du magma en fusion mais rien n’est vraiment certain, de sorte que l’on peut penser que ce sont les observations que permet de faire le télescope James-Webb qui vont mettre les choses plus au clair.
Une exoplanète en rotation synchrone ou avec résonance gravitationnelle ?
Ce qui est certain, c’est que la superterre 55 Cancri e ne produit pas toujours la même baisse de luminosité de son étoile hôte lorsqu’elle effectue un transit du point de vue d’un observateur de la noosphère. On l’explique par le fait que la superterre elle-même produirait une émission variable de son rayonnement diurne propre pour ce même observateur, et toute la question est de savoir ce qui peut causer ces variations d’émissions.
De prime abord, les lois de la mécanique céleste laissent penser que vu sa proximité à son soleil, 55 Cancri e doit être en rotation synchrone, présentant toujours la même face à 55 Cancri a. Le point le plus chaud de la planète, un océan de lave, devrait donc être celui qui fait face le plus directement à l’étoile, et la quantité de chaleur, donc de lumière provenant du côté jour, ne devrait pas beaucoup changer avec le temps.
Ce n’est pas ce qu’ont montré les observations avec le défunt télescope Spitzer et on constate en outre que le lieu le plus chaud de la planète n’est pas directement en face de 55 Cancri a, il y a un décalage.
On peut résoudre l’énigme en invoquant la présence d’une atmosphère avec des courants conduisant à une répartition fluctuante de la chaleur. Ainsi, selon Renyu Hu : « 55 Cancri e pourrait avoir une atmosphère épaisse dominée par l’oxygène ou l’azote. S’il y a une atmosphère, le JWST a la sensibilité et la gamme de longueurs d’onde pour la détecter et déterminer de quoi elle est faite. »
Si les observations conduites jusqu’à présent sont compatibles avec l’hypothèse de la rotation synchrone, elles ne la démontrent pas. Une situation similaire s’était déjà produite dans le cas de Mercure, il était plus facile de l’observer à certaines périodes de l’année. Or, la planète était en fait dans un état de résonance orbitale du fait des interactions gravitationnelles des planètes et du Soleil, de sorte qu’elle tournait trois fois sur elle-même toutes les deux orbites, ce qui conduisait à la voir présentant toujours la même face au Soleil au moment où les observations étaient conduites.
Nous sommes peut-être victimes d’un biais similaire avec 55 Cancri e qui aurait alors un cycle jour-nuit, ce qui fait dire à Alexis Brandeker : « Cela pourrait expliquer pourquoi la partie la plus chaude de la planète est décalée. Tout comme sur Terre, il faudrait du temps pour que la surface se réchauffe. Le moment le plus chaud de la journée serait l’après-midi, pas juste à midi. »
Pour démontrer cette hypothèse, les astrophysiciens vont donc déterminer la quantité de lumière émise pendant quatre orbites, ce qui permettra de détecter des différences entre les hémisphères diurne et nocturne. Surtout, dans le cadre de cette hypothèse, on devrait avoir des silicates qui se vaporisent dans la région des températures extrêmes du côté jour, ce qui produirait des quantités détectables de gaz SiO à partir de la vaporisation de SiO2 débutant le matin, SiO qui précipiterait ensuite en gouttelettes de lave le soir et qui se recristalliserait en SiO2 et retomberait à la surface, redevenant solide à la tombée de la nuit.
Quelle minéralogie pour l’exoplanète LHS 3844 b ?
Le JWST se penchera aussi sur le cas de l’exoplanète LHS 3844 b.
LHS 3844 b est aussi une superterre mais qui orbite autour d’une étoile de type M, donc une naine rouge plus froide que le soleil de 55 Cancri e. Sa masse est de 2,25 fois celle de la Terre et bien qu’il lui suffise de 0,5 jour pour boucler une orbite autour de son étoile, elle est plus froide que 55 Cancri e.
Il devrait toutefois s’agir là aussi d’une planète très volcanique et dont on pense qu’elle est dépourvue d’atmosphère selon les observations du télescope Spitzer. Comme elle n’est qu’à environ 50 années-lumière du Soleil, le JWST devrait pouvoir nous fournir des informations intéressantes sur la composition des roches de sa surface.
En effet, Laura Kreidberg, qui utilisera avec ses collègues l’instrument MIRI du JWST pour faire de la spectroscopie dans l’infrarouge, explique dans le communiqué de la Nasa que : « Il s’avère que différents types de roches ont des spectres différents. Vous pouvez voir de vos yeux que le granit est de couleur plus claire que le basalte. Il existe des différences similaires dans la lumière infrarouge émise par les roches. » Les planétologues vont donc mesurer le spectre d’émission thermique du côté jour de LHS 3844 b, puis le compareront aux spectres de roches connues. Il devrait pouvoir aussi révéler la présence de traces de gaz volcaniques.
Selon Kreidberg, les résultats attendus de ces observations « nous donneront de nouvelles perspectives fantastiques sur les planètes semblables à la Terre en général, nous aidant à comprendre à quoi ressemblait la Terre primitive quand il y faisait chaud comme sur ces planètes aujourd’hui ».