Autour de Jupiter, les panneaux solaires de Juice produiront la puissance électrique d’un grille-pain

Le 5 avril 2023, la sonde européenne Juice décollera vers Jupiter et ses satellites. À l’occasion de l’installation de ses gigantesques panneaux solaires, rencontre avec son chef de projet, Cyril Cavel, dans les salles blanches de Airbus Defence and Space, à Toulouse.

Il reste moins d’un an ! Le 5 avril 2023, pour son dernier tir, la fusée Ariane 5 lancera la toute première sonde européenne à destination de Jupiter Juice (Jupiter Icy Moons Explorer). Elle atteindra la planète géante au terme d’un périple de 7,5 ans dans l’espace et l’étudiera en détail, ainsi que trois de ses satellites galiléens : Ganymède, Callisto et Europe. Au total, la sonde survolera 35 fois ces « lunes glacées » de Jupiter. Pour l’heure, après l’intégration de sa dizaine d’instruments scientifiques, l’assemblage de Juice s’achève avec l’installation de ses panneaux solaires chez Airbus Defence and Space, à Toulouse.

Un dispositif critique, nous explique le chef de projet de la mission Cyril Cavel.

L’installation des panneaux solaires marque la dernière étape de la « phase d’intégration » d’une sonde spatiale. Que reste-t-il à faire sur Juice avant le lancement ?

Cyril Cavel : Juice est très proche de ce qu’elle sera sous la coiffe d’Ariane 5. Mais pour la qualifier pour le vol, nous devons encore dérouler un certain nombre d’essais mécaniques comme des tests de vibration ou encore des tests acoustiques, de choc, pour s’assurer qu’elle survive au lancement. On fera ensuite des essais fonctionnels pour vérifier les phases les plus critiques de la mission, comme l’insertion en orbite. On mettra également le système de propulsion en pression et on vérifiera qu’il fonctionne parfaitement dans des conditions de vide et de température extrême. À l’issue de toutes ces étapes, la sonde sera expédiée en Guyane, à la mi-janvier 2023 pour une campagne de lancement de deux mois et demi.

Pourquoi les panneaux solaires de Juice sont-ils si grands ?

Cyril Cavel : Déployés, ils ont une envergure d’un peu moins de 30 m, en comptant le corps du satellite, et une surface totale de 85 m2. Dans un environnement terrestre, sur un satellite de télécommunications avec une telle surface vous générez 15 kW de puissance. Mais Jupiter se trouve à environ 780 millions de kilomètres du Soleil.

À cette distance, vous générez « péniblement » 800 W, l’équivalent d’un grille-pain !

Dans la conception du système de puissance de Juice, nous sommes allés chercher le moindre watt perdu. Car la puissance électrique, c’est le nerf de la guerre. Lors des tests, les panneaux sont suspendus au plafond sur un système de rails, ce qui permet de simuler un environnement sans gravité, car ils ne sont pas faits pour soutenir leur propre poids sur Terre. On vient plier et déplier le panneau solaire pour vérifier le déploiement correct. Nous le faisons une fois avant les essais de vibration de la sonde. On recommence une seconde fois après ces essais pour vérifier que l’on arrive toujours à les déployer.

La grande distance de Jupiter au Soleil nécessite des vastes panneaux solaires pour produire de l’énergie. Ceux de Juice ont une surface équivalant à celle d’une appartement : 85 m2© A. Meunier
La sonde et ses panneaux solaires repliés doivent pourvoir tenir sous la coiffe de la fusée Ariane 5, qui lancera la mission en avril 2023. © A. Meunier

Y a-t-il une taille limite aux panneaux solaires des sondes spatiales ?

Cyril Cavel : Il y a des limites liées à l’encombrement, car on ne peut pas replier à l’infini sous la coiffe d’une fusée. Dans le cas de Juice, la coiffe d’Ariane 5 sera à quelques centimètres seulement des panneaux solaires. On ne pourrait pas mettre deux épaisseurs supplémentaires, car cela ne rentrerait tout simplement pas.

Pour assurer l’alimentation électrique de Juice, a-t-on envisagé d’utiliser autre chose que des panneaux solaires ? Des RTG par exemple, utilisés par certaines sondes américaines comme Cassini ou New Horizons ?

Cyril Cavel : Ce n’est pas une technologie disponible en Europe. Il n’y a que les missions du JPL et de la Nasa qui utilisent ces équipements. La raison est simple : ce sont des développements compliqués qui impliquent beaucoup de contraintes de sécurité lors du lancement. Il s’agit tout de même d’une mini-centrale nucléaire que vous installez au sommet d’une fusée.

En Europe, nous avons fait le choix d’utiliser des panneaux solaires dont les cellules, utilisées pour Juice, sont de dernière génération. Elles sont spécifiquement développées pour travailler dans l’environnement de basse température et hautement radiatif propre à Jupiter. Mais malgré leur protection, nous perdrons environ 25 % de puissance entre le début et la fin de la mission autour de Jupiter.

Jupiter possède le champ magnétique le plus puissant du Système solaire, mis à part celui du Soleil. Quels sont les dangers pour la sonde Juice ?

Cyril Cavel : La survie d’une sonde dans un environnement aussi agressif est un défi. L’ensemble des équipements de Juice sont donc protégés des radiations. Le second défi est lié aux objectifs de la mission : ce sont les exigences de propreté électromagnétique. Nous avons beaucoup d’équipements scientifiques à bord du satellite qui viendront mesurer les champs électriques et magnétiques de Jupiter et de ses satellites pour recueillir les signaux de faible amplitude émis par les océans sous-glaciaires d’Europe, de Ganymède et de Callisto. On ne veut pas perturber ces signaux par les émissions de la sonde. Il doit donc être le plus propre et émettre le moins possible d’ondes électromagnétiques. Sur cette mission, nous avons atteint des niveaux de propreté inédits !

chevron_left
chevron_right