Le cœur liquide de Mars n’est pas si gros que ce qui avait été estimé jusqu’ici. Il est simplement entouré d’une fine couche de roches fondues, clament deux équipes après analyse de données sismiques de la sonde InSight. Voilà qui résout une énigme posée aux spécialistes de la planète rouge.
Les pièces du puzzle semblent enfin s’ajuster. Non, contrairement à ce qui avait été estimé plus tôt, le noyau de fer liquide de Mars ne fait pas 1830 km de rayon. Il en ferait 200 km de moins, perdant ainsi 25 % de son volume.
Cette cure d’amaigrissement, proposée indépendamment par deux équipes après analyse des données les plus récentes du sismomètre Seis, installé sur l’atterrisseur martien InSight, n’est pas pour déplaire aux spécialistes de Mars et de la formation planétaire…
Depuis l’été 2021, ils faisaient en effet face à une énigme. Sur la foi des deux premières années de mesures de Seis – enregistrant le moindre tremblement de Mars depuis l’atterrissage d’InSight en novembre 2018 – les géophysiciens avaient conclu à la présence au cœur de la planète d’un noyau étonnamment gros et peu dense. Un noyau beaucoup moins riche en fer que le noyau de la Terre, mais enrichi en éléments plus légers comme le soufre, le carbone, l’hydrogène et l’oxygène.
Problème : une telle composition ne collait ni avec les contraintes imposées par la cosmochimie – l’inventaire et la concentration des atomes disponibles au moment de la formation du Système solaire – ni avec celles de la physique des hautes pressions.
Cadeau de Noël
Grâce à un impact de météorite survenu sur Mars quelques mois plus tard, le jour de Noël 2021, le mystère vient enfin d’être levé.
Comme l’expliquent Henri Samuel (de l’IPGP) et ses collègues dans leur étude, « l’impact, localisé avec précision depuis l’orbite à 125,9° d’InSight, a déclenché des signaux sismiques interprétés comme la toute première observation d’ondes P diffractées le long de la frontière entre le noyau et le manteau. »
En sismologie, les ondes P et les ondes S sont des ondes qui se propagent dans tout le volume d’une planète. Leur vitesse et leur direction change en fonction du matériau qu’elles rencontrent, et c’est ainsi qu’on peut les exploiter pour sonder la structure interne de la Terre, la Lune, ou Mars (les seuls corps, à ce jour, où ont été installés des sismomètres).
En sondant la frontière du noyau de fer et du manteau de silicates de Mars, les ondes P liées à l’événement du 25 décembre 2021 révèlent que le manteau n’est pas homogène mais au contraire, à sa base, enrichi en fer et en éléments radioactifs. En réalité, une couche en fusion de 150 km s’intercale entre le noyau et le manteau solide.
Le noyau étant finalement moins épais d’autant – conclusion à laquelle parviennent aussi Amir Khan (ETH Zurich) et ses collègues dans une étude publiée dans la même édition de la revue Nature (26 octobre 2023) que celle d’Henri Samuel.
Le verdict de Phobos
Un noyau plus petit et plus dense (6,5 g/cm3), composé à 85 % de fer, s’accorde bien mieux au scénario de formation de Mars que l’estimation précédente. Par ailleurs, comme le souligne l’équipe d’Henri Samuel, la présence d’une couche de roches en fusion tout autour de lui explique le détail de la trajectoire de Phobos.
Pour le comprendre, il faut se souvenir que, comme la Lune, le plus gros des deux satellites de Mars exerce une force de marée sur la planète.
Malgré sa petite taille (27 km de long), mais aussi parce qu’il tourne très près de la surface (6000 km), il la déforme !
L’amplitude de cette déformation dépend de la structure interne de la planète rouge.
Et elle joue, en retour, sur l’attraction que Mars exerce sur Phobos, donc sur la trajectoire de la petite lune… Il se trouve que celle-ci s’explique mieux si Mars dissipe efficacement les marées de Phobos. Ce que permet justement une couche profonde de roches en fusion, à la base du manteau.
Dynamo martienne
Au-delà de son influence sur Phobos, quel rôle a pu jouer cette couche de 150 km dans l’évolution de Mars ? Cela dépend de ses caractéristiques précises et, sur ce point, les équipes d’Amir Khan et d’Henri Samuel ne sont pas tout à fait d’accord. Pour les premiers, sa densité doit être de 4 g/cm3, pour un module d’incompressibilité (résistance à l’écrasement) de 110 GPa (giga-pascal). Les seconds la considèrent plus dense (4,8 g/cm3) et aussi moins compressible (140 GPa).
Comme l’explique la géophysicienne Suzan van der Lee dans Nature, « une couche de roches en fusion plus dense et moins compressible serait confinée au fond du manteau de Mars […] agissant ainsi comme une couche limite thermique qui empêcherait le noyau de se solidifier et de générer un champ magnétique. »
Il faut en effet que le noyau s’anime de mouvements convectifs, une manière de se refroidir, pour qu’il produise un champ magnétique par effet dynamo.
Or jusqu’à 3,8 milliards d’années dans le passé, Mars a eu une activité magnétique !
Faut-il alors préférer la première option, qui serait d’ailleurs compatible avec l’existence d’un volcanisme martien dont on voit parfaitement les traces ?
Pas si sûr. Dans leur article, Henri Samuel et ses collègues énumèrent plusieurs façons de produire une dynamo martienne – indispensable à la création d’un champ magnétique global – sans que le noyau de la planète soit animé de mouvements convectifs. Des impacts géants ou l’existence de satellites aujourd’hui disparus, entre autres, pourraient faire l’affaire…
Mars, évidemment, est loin d’avoir livré tous ses secrets.