Les géantes de glace dans le Système solaire Neptune et Uranus ont beaucoup en commun, des masses, des tailles et des compositions atmosphériques similaires. Mais curieusement, Neptune apparaît nettement plus bleue dans le visible qu’Uranus. Des observations à plusieurs longueurs d’onde ont permis de développer des modèles atmosphériques qui reproduisent et expliquent pour la première fois cette différence.
Carl Sagan et André Brahic ne sont hélas plus parmi nous pour commenter les découvertes faites sur les planètes géantes du Système solaire mais leurs collègues continuent d’explorer ces mondes. Si les gazeuses que sont Jupiter et Saturne nous sont nettement mieux connues maintenant après les missions Juno et Cassini, les glacées – découvertes par Herschel (Uranus) et Le Verrier (Neptune) – recèlent encore bien des mystères.
Seule la sonde Voyager 2 s’est approchée d’Uranus et de Neptune, découvrant dans le cas de cette dernière une météorologie nettement plus active que celle attendue pour une planète aussi loin du Soleil (recevant donc bien moins de son énergie que Saturne), possédant comme elle une tache, noire cette fois, indicatrice d’une énorme tempête planétaire anticyclonique.
Un orage sur Neptune. Là le vortex illustré ici à 2:04 / à 3:15 Hubble regarde la tempête noire de Neptune « mourir »
Des couches de brumes d’aérosols et des atmosphères turbulentes différentes
Au départ, les planétologues cherchaient juste à développer un modèle qui aiderait à comprendre les nuages et les brumes dans les atmosphères des géantes de glace. Mais, comme le précise dans un communiqué Mike Wong, astronome à l’Université de Californie à Berkeley et membre de l’équipe à l’origine de la découverte sur les couleurs d’Uranus et Neptune, « expliquer la différence de couleur entre Uranus et Neptune était un bonus inattendu ! ».
Irwin explique quant à lui qu’« il s’agit du premier modèle à tenir compte simultanément des observations de la lumière solaire réfléchie des longueurs d’onde ultraviolettes au proche infrarouge. C’est aussi le premier à expliquer la différence de couleur visible entre Uranus et Neptune ».
Comme l’explique plus en détail les schémas ci-dessous, le nouveau modèle des chercheurs implique trois couches de brume d’aérosols (rappelons qu’un aérosol est une suspension de fines gouttelettes ou particules dans un gaz, par exemple sous forme de fumée ou de brouillard) à différentes hauteurs dans les atmosphères de chaque planète. La couche intermédiaire de particules de brume, juste au-dessus du niveau de condensation du méthane, s’avère plus épaisse sur Uranus que sur Neptune et c’est cela qui affecte la couleur visible des deux planètes.
Comme dans le cas de l’explication de la couleur bleue du ciel et blanche des nuages sur Terre, les planétologues ont tenu compte dans leurs modèles des effets de diffusion de la lumière dits de Rayleigh et Mies, du nom des physiciens impliqués dans l’explication de ces effets il y a plus d’un siècle.
Les courants-jets n’affectent Neptune et Uranus qu’en surface
Les courants-jets sur Neptune et Uranus seraient confinés à leur surface, d’après un groupe de planétologues. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés les chercheurs, en étudiant indirectement le champ de gravitation généré par les deux géantes gazeuses. La méthode qu’ils ont utilisée devrait pouvoir s’appliquer à Jupiter dans quelques années.
La conquête spatiale a permis la naissance d’une planétologie comparée, où les outils de la géophysique interne et externe, rodés sur Terre, sont utilisés pour tenter de comprendre la géologie et la climatologie des autres planètes du Système solaire. De cette manière, il est possible d’en apprendre plus sur notre planète elle-même.
On ne peut faire varier la masse de la Terre, sa composition ou sa température comme on le ferait en laboratoire pour mieux comprendre un système physique. Mais l’univers se charge de mener ces expériences avec les différents astres du Système solaire. On peut ainsi transposer les modèles du climat sur Terre à Mars et Vénus, pour voir s’ils permettent de prédire, via des simulations, la météorologie des planètes.
Des chercheurs comme Yohai Kaspi, du Department of Environmental Sciences du Weizmann Institute of Science (Israël), essayent aussi de comprendre le climat des géantes gazeuses telles que Jupiter et Saturne. Le géophysicien vient d’ailleurs de copublier, dans Nature, un article dans lequel il livre une nouvelle évaluation de l’épaisseur des couches où circulent des courants-jets (ou jet streams, en anglais) sur Neptune et Uranus.
Des vents qui soufflent à 1.000 km/h sur Neptune et Uranus
Depuis les observations de la mission Voyager 2, on sait que ces vents violents existent à la surface des deux planètes, et qu’ils y soufflent même à une vitesse supérieure à 1.000 km/h. Des sortes de cyclones dont les tailles dépassent celle de la Terre s’y produisent également.
Ce fut d’ailleurs une surprise pour les astrophysiciens, qui ne s’attendaient pas à voir autant d’activité sur des planètes glacées et faiblement nourries en énergie par la lumière du Soleil, puisque situées à des distances de plusieurs milliards de kilomètres de celui-ci. Bien que la planète Uranus ait un axe de rotation fortement incliné, de sorte qu’il est presque parallèle au plan orbital de la planète, et qu’un de ses pôles soit quasiment en face du Soleil en hiver, on constate que les phénomènes atmosphériques sur Uranus et Neptune sont très similaires.
Pour décrypter ce qui se passe dans les atmosphères de ces géantes, il faut préciser les modèles de leur structure interne. On peut se servir des lois de la physique pour les construire, mais il est nécessaire de les contraindre par des observations et des mesures. Il est par exemple possible d’utiliser le champ magnétique ou le champ de gravitation des planètes dans ce but. C’est ainsi que les mesures par gravimétrie de la mission Grail nous ont donné des renseignements sur l’intérieur de la Lune.
Une méthode pour explorer Jupiter et les exoplanètes
Or, il se trouve que le champ de gravitation affecte les caractéristiques de l’écoulement des fluides sur une planète en rotation. Sur Terre, c’est un fait bien connu des géophysiciens externes. Ainsi, le champ de vitesse des vents montre qu’ils s’enroulent autour des zones de basses et hautes pressions. Via les estimations de ces pressions, on peut remonter au champ de gravitation inhomogène de la planète et finalement aux caractéristiques de la distribution de matière dans les couches internes. C’est précisément ce qu’ont réalisé les chercheurs, à partir des données concernant les courants-jets de Neptune et Uranus.
Les planétologues concluent que les courants-jets ne doivent pas s’étendre à une profondeur de plus de 1.000 km. Rappelons que les rayons de Neptune et Uranus sont respectivement d’environ 24.600 et 25.400 km.
Lorsque les missions Juno et Juice arriveront aux abords de Jupiter, les données qu’elles collecteront devraient permettre d’utiliser la même méthode que celle des chercheurs, afin de contraindre la structure interne de la plus grande planète du Système solaire. On devrait, à l’avenir, pouvoir faire de même avec les Jupiter chaudes.