Le trou noir du centre de la Voie lactée est né d’une fusion 

SgrA*, le trou noir de 4 millions de masses solaires qui trône au cœur de notre Galaxie, serait le produit de la collision entre deux trous noirs supermassifs.

Un événement qui aurait eu lieu il y a 9 milliards d’années.

Le portrait inédit de SgrA* réalisé par l’Event Horizon Telescope (EHT) en 2022 ne se résume pas à une simple image. Il dévoile plusieurs caractéristiques du trou noir de 4 millions de masses solaires qui occupe le centre de la Voie lactée.

En les étudiant, les astrophysiciens Yihan Wang et Bing Zhang, du Nevada Center for Astrophysics, sont arrivés à la conclusion que ce trou noir hypermassif était né de la fusion de deux trous noirs plus modestes.

Dans leur article publié le 6 septembre 2024 dans la revue Nature Astronomy, les chercheurs se fondent en particulier sur deux propriétés du monstre : sa rotation rapide sur lui-même, en sens inverse de celui l’ensemble de la Galaxie, et son inclinaison de 30° par rapport au plan de la Voie lactée.

L’énigme de l’origine des trous noirs supermassifs

C’est en confrontant les trois principaux modèles de croissance des trous noirs supermassifs aux données connues sur SgrA* que les deux astrophysiciens en sont arrivés à leur conclusion.

Selon le modèle d’accrétion cohérente, un trou noir au centre d’une galaxie prend du poids en accumulant presque continuellement de la matière (gaz, étoiles) en provenance du disque galactique. On s’attend dans ce cas à ce que son disque d’accrétion soit aligné avec celui de son hôte, et qu’il tourne dans le même plan et le même sens que la galaxie. Ce modèle peut aussi expliquer une rotation rapide du trou noir sur lui-même : il a été accéléré à la manière d’une toupie.

Dans le modèle d’accrétion chaotique, la matière est accumulée par le trou noir de manière sporadique et, surtout, en provenance de directions aléatoires.

Résultat : son disque d’accrétion peut parfaitement être incliné par rapport au plan de sa galaxie. L’axe de rotation du trou noir est alors différent de l’axe de rotation de celle-ci. Par contre, comme il n’a pas été accéléré de manière cohérente, le trou noir ne tourne pas très vite.

Le modèle de la fusion hiérarchique, lui, « postule que les galaxies s’assemblent sur des temps cosmiques, conduisant à des fusions de galaxies et, finalement, à la fusion des trous noirs supermassifs qui occupent leur centre respectif », expliquent Wang et Zhang dans leur étude. Dans les scénarios de fusion hiérarchique, « les fusions de trous noirs supermassifs donnent souvent naissance à des trous noirs en rotation rapide. » Par ailleurs, les galaxies se percutant selon des inclinaisons aléatoires, ce modèle peut produire des trous noirs supermassifs très inclinés par rapport au plan de leur galaxie.

Gaïa-Encelade, suspecte numéro un

En testant systématiquement ces trois pistes par des simulations numériques, les deux chercheurs ont d’abord montré que les modèles d’accrétion échouaient. L’un parce qu’il ne permettait pas d’incliner le trou noir, l’autre parce qu’il ne l’accélérait pas assez.

Il ne restait plus qu’à creuser du côté du modèle de fusion hiérarchique.

Avec une invitée de choix : l’ancienne galaxie Gaïa-Encelade, aujourd’hui disloquée et trahie uniquement par les caractéristiques orbitales de certaines étoiles de la Voie lactée. « Inspirés par la fusion entre la Voie lactée et le progéniteur de Gaïa-Encelade, dont le rapport des masses était de quatre pour un, selon les données de Gaïa, nous avons découvert que la fusion de deux trous noirs dotés du même rapport de masse et inclinés de 145 à 180° pouvait reproduire avec succès les propriétés de rotation de SgrA», racontent les astrophysiciens.

Cette galaxie aurait été la plus grosse jamais absorbée par la nôtre.

Découverte en 2018 grâce à une analyse poussée des données de Gaïa, elle tire son nom de ce satellite de l’agence spatiale européenne tout comme du géant Encelade, fils de Gaïa dans la mythologie grecque.

La Voie lactée actuelle (à droite) serait le fruit d’une collision de notre protogalaxie avec Gaïa-Encelade il y 10 milliards d’années. © Gabriel Perez Díaz, SMM, Instituto de Astrofisica de Canarias

Le choix de deux trous noirs dotés du même rapport de masse que leurs galaxies respectives n’est pas anodin : les astronomes savent depuis des années que la masse d’un trou noir supermassif est proportionnelle à celle de sa galaxie. Quant à l’inclinaison de 145 à 180 degrés, c’est précisément celle d’un objet dont l’axe de rotation est incliné de 0 à 35 degrés mais qui tourne à l’envers… Comme SgrA*.

Selon les chercheurs, c’est donc bien la fusion entre le progéniteur de Gaïa-Encelade et la Voie lactée qui aurait produit SgrA*. La réunion de leurs trous noirs n’aurait toutefois pas été instantanée. Elle aurait pris un milliard d’années, assurent-ils après calculs. La fusion galactique ayant eu lieu il y a 10 milliards d’années, la naissance de SgrA* tel que nous le connaissons daterait donc de 9 milliards d’années.

Une bonne nouvelle pour les détecteurs d’ondes gravitationnelles ?

Le fait que la Voie lactée ait subi une fusion majeure au cours de son existence permet d’estimer un taux de fusion pour les trous noirs supermassifs. Wang et Zhang soulignent qu’il permet donc de quantifier les chances de détection de ces évènements par les détecteurs spatiaux d’ondes gravitationnelles qui seront lancés dans les années 2030, comme l’européen LISA ou les chinois Taiji ou TianQin.

Simulation de la fusion de deux trous noirs supermassifs. © Nasa/GSFC

Bonne nouvelle : avec une valeur de 0,001 à 0,01 événement par milliard d’année-lumière dans chaque cube d’espace d’un mégaparsec de côté, ce taux de fusion « suggère un taux de détection prometteur », assurent les chercheurs (car l’Univers est bien plus vaste qu’un mégaparsec !).

Si rien n’est détecté, il faudra peut-être s’interroger à nouveau sur la façon dont grossissent les trous noirs supermassifs. Et donc sur l’histoire de SgrA*.

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